Dans notre imaginaire collectif, le couple reprĂ©sente lâunitĂ© idĂ©ale, le noyau stable dâune relation. Et pourtant, la rĂ©alitĂ© psychique et systĂ©mique montre que… deux, ce nâest pas toujours mieux.
đ„ Le mythe du duo autosuffisant
On pense souvent que lâamour se vit Ă deux. Pourtant, tout couple finit tĂŽt ou tard par impliquer une troisiĂšme personne. Ce phĂ©nomĂšne, appelĂ© triangulation, est naturel, universel⊠et parfois explosif. Il ne sâagit pas forcĂ©ment dâinfidĂ©litĂ©, mais de toute figure extĂ©rieure que lâun ou lâautre (ou les deux) impliquent pour rĂ©guler leurs tensions : un ami, un enfant, un thĂ©rapeute, un parent.
đ Triangulation : comment ça marche ?
La triangulation survient souvent lorsque les partenaires ne sont pas suffisamment diffĂ©renciĂ©s â câest-Ă -dire capables dâĂȘtre pleinement eux-mĂȘmes et en lien intime sans se perdre ou se fusionner.
Quand la tension dans le couple devient trop forte pour ĂȘtre contenue Ă deux, un troisiĂšme est sollicitĂ© (volontairement ou non) pour calmer le jeu. Voici quelques scĂ©narios typiques :
- La naissance dâun enfant : lâajout dâun tiers dans un couple jusque-lĂ stable peut le dĂ©stabiliser.
- Le départ des enfants (syndrome du « nid vide ») : le retrait du troisiÚme peut révéler des tensions latentes.
- Un ami proche sâĂ©loigne ou emmĂ©nage ailleurs, et lâĂ©quilibre du couple change.
- Une belle-mÚre intervient dans les conflits du couple pour « aider », sans avoir été invitée.
đ Les rĂŽles dans le triangle
Quand le triangle se forme, trois rĂŽles apparaissent :
- Le générateur : la personne la plus anxieuse, qui initie le mouvement de triangulation.
- Lâamplificateur : celle qui, incapable de rester calme, rĂ©agit Ă cette anxiĂ©tĂ© et lâaggrave.
- Le rĂ©gulateur (ou « tampon ») : souvent la tierce personne, qui vient apaiser, recadrer ou dĂ©tourner lâattention.
Ce mécanisme est subtil, souvent inconscient, mais il peut avoir des conséquences importantes sur les dynamiques relationnelles.
đž Le prix Ă payer : confusion, blocage et stagnation
La triangulation soulage Ă court terme, mais elle fige Ă long terme. Elle empĂȘche les partenaires de traverser leurs conflits et de grandir. Pire : dans les familles, ce sont souvent les enfants qui paient lâaddition. Ils deviennent le champ de bataille silencieux des tensions parentales : un rĂŽle trop lourd pour eux.
En thĂ©rapie de couple, les conjoints cherchent souvent Ă entraĂźner le thĂ©rapeute dans ce triangle : chacun espĂšre secrĂštement quâil prendra parti.
Mais un bon thérapeute garde sa place, et rappelle que le véritable travail se fait dans la relation à deux.
đ§ Comment sortir (ou Ă©viter) un triangle toxique ?
La triangulation nâest pas toujours Ă©vitable, mais elle peut ĂȘtre reconnue et rĂ©gulĂ©e. Deux pistes majeures :
đ Observation
- Suis-je en train de me faire enrĂŽler ?
- Suis-je tentĂ©(e) de prendre parti ? Dâintervenir, de conseiller, de trancher ?
- Suis-je en train dâutiliser quelquâun pour Ă©viter un inconfort dans ma relation ?
đź ContrĂŽle
- RĂ©sister Ă lâenvie de « sauver », de « rĂ©gler » ou de « consoler ».
- Garder une posture diffĂ©renciĂ©e : calme, ancrĂ©e, reliĂ©e Ă soi, sans se faire happer par lâĂ©motion de lâautre.
- Favoriser lâautonomie Ă©motionnelle : respirer, Ă©crire, marcher, laisser passer lâĂ©motion avant dâagir.
- Parler de ce qui se passe au lieu de lâagir : « Jâai eu envie dâappeler ma mĂšre pour lui parler de notre dispute, mais je prĂ©fĂšre tâen parler Ă toi. »
đĄ En rĂ©sumĂ©
Dans toute relation, des triangles Ă©mergent. Ils sont parfois nĂ©cessaires, mais ils deviennent toxiques sâils se figent. Le chemin vers une relation plus mature passe par la conscience de ces dynamiques, lâacceptation des inconforts et le choix de les traverser Ă deux, plutĂŽt que de chercher un refuge dans un tiers.
Car au fond, câest dans cette zone dâinconfort que se logent les plus belles occasions de croissance.